• neige d'été, i. (2019)

    initialement publié sur wattpad en décembre 2019 puis avril 2020. non révisé.


     

    - Grande sœur ! Grande sœur ! Il va neiger !

    Hein ?

    Encore pas tout à fait réveillée, je me redresse et je jette un œil à la fenêtre, où un soleil radieux brille de tout son être, dardant ses rayons dans toute la chambre.

     

    Au loin, je peux voir le lac dont la surface scintille doucement, et les tentes aux tissus colorés installées sur les rives sablonneuses.

    - Me prends pas pour une imbécile, Thelma. Il fait au moins trente degrés-

    - Ils l'ont dit à la radio ! Ecoute !

    Elle brandit alors un vieux poste, sorti de nulle part, et monta le son au maximum. Puis elle s'assit sur le lit à côté de moi, le posant entre nous deux.

    "...Une chute exceptionnelle des températures jamais observée en Europe occidentale... L'espace d'un jour, vous rendez-vous compte ?

    En effet, il semblerait que les dieux de l'hiver aient décidé de nous rendre visite aujourd'hui. Vers 17h, le froid va commencer à se déclarer, et la température descendre de 30 à 15 degrés en une heure, puis, à dix-neuf heures, elle sera sous le zéro. Le ciel, qui sera déjà couvert depuis le début de l'après-midi, devrait alors lâcher des flocons, jusqu'à la tombée de la nuit..."

    La radio se mit ensuite à crachouiller, en raison de la mauvaise réception. En effet, on peut dire que nous étions dans un trou perdu, ma sœur et moi, attendant une visite depuis... un sacré bout de temps. On ne devait surtout pas décamper avant que la personne que notre mère nous avait dit d'attendre vienne – ça fait maintenant cinq semaines, et ici, il ne se passait pas grand-chose, hormis le ballet des campeurs entre leurs tentes, le lac où ils aiment à se rafraîchir et les séances de karaoké au bar du camping le soir.

    - Thelma ?

    - Oui ?

    - Je crois que ça va être aujourd'hui... (Je passe mes doigts entre mes cheveux poisseux, tentant de m'éclaircir les idées) Hum... Et si on allait attendre la neige au bord du lac?

    Les yeux de ma petite sœur s'éclairent, grands comme des soucoupes illuminées.

    - Vraiment ??

    Je lève les yeux au ciel.

    - Je ne blague pas, non. A moins que tu préfères rester à l'intérieur. Il va faire froid, après tout !

    - Froid... (ses sourcils se froncent) Al, on a pas de vêtements d'hiver, nous !

    Personne dans ce camping n'a de vêtements d'hiver, d'ailleurs, songé-je en mon for intérieur.

    - On n'a jamais vu la neige, non ? murmuré-je, le ton presque rêveur. Ça va nous changer de cette routine affreuse !

    Ma sœur émit une protestation et attrapa mon bras :

    - Al ! Il faut qu'on se trouve des pulls ! On va se transformer en glaçons !

    - Tu ne veux pas savoir ce que ça fait ? fis-je en rigolant. On a jamais eu froid, même en hiver, chez nous. Alors...

    Elle me lança un regard exaspéré à en faire pâlir les plus sûrs d'eux-mêmes. (Du haut de ses dix ans, Thelma était redoutable.) Je finis par capituler.

    - D'accord, tête de pioche, on va essayer de trouver ça. Peut-être que dans la boîte à objets trouvés, il y aura encore des trucs laissés par les hivernaux-

    - Oui ! Allons voir Mémé Sen !

    Elle me fit signe de me dépêcher de me lever, et disparut aussi vite qu'elle était arrivée de ma chambre, sa radio au bras. C'était jour de neige, jour de fête. Ô joie !

    **

    - Mais c'est Al et Thelma ! Comment ça va, les poulettes, depuis la dernière fois ? Vous avez besoin d'autres affaires ?

    Derrière son bureau en formica usé, Mémé Sen nous regarde, les coins des yeux plissé, le regard rieur. Embarrassé, je reste silencieux, alors que Thelma, toute contente, la salue avec enthousiasme.

    Avant d'emménager dans notre bungalow, Thelma et moi avions échoué ici, dans le petit bureau de Mémé Sen, un mot de maman à la main. Celui-ci se trouvait dans un petit immeuble à la façade en bois, dans le plus pur style chalet, planté sur une esplanade de béton au pied de la montagne, dans une résidence de vacances au coquet nom des Eidelwess. C'était là où se trouvaient les principaux bureaux et logements du propriétaire et du personnel du camping, là où les vacanciers venaient récupérer les clés de leur bungalow, ou recevaient le numéro de leur emplacement. Dernier rempart de la civilisation avant de monter sur les chemins rocailleux menant au lac, au bord duquel nous avions fini par arriver, pour nous installer dans un bungalow miteux.

    Nous avions attendu ici, sans autre bagage que l'une et l'autre - je n'avais que ma soeur et Thelma n'avait que moi.

    Mémé Sen a lu le mot de maman, puis elle a décroché le combiné du téléphone sur son bureau. Elle a appelé le gérant, et a demandé à louer un bungalow, celui le plus éloigné du rivage, ajoutant qu'elle paierait, tous les mois, pour une location d'une durée indéterminée. Puis elle a raccroché, et attrapé un énorme carton derrière son bureau, qu'elle posa devant nous.

    Récupérez tout ce qui peut vous être utile. Vous avez besoin de vêtements de rechange pour la semaine. Dimanche, je serai en congé, et j'irai en ville vous en acheter des neufs. On vous les enverra en haut. Et ensuite, vous filez !

    Thelma et moi nous sommes regardés. Elle nous aidait comme si nous étions de la famille. 

    Remerciez bien Mémé Sen, nous avait dit notre mère. Et allez la voir dès que vous avez un problème.

    Par la suite, elle nous aida plusieurs fois, et sut réconforter la tristesse de Thelma, à qui notre mère manquait. Mais la vieille femme avait refusé de répondre à mes questions sur la raison pour laquelle on nous avait lâchés ici. On avait juste une personne importante à attendre.

    - Que me vaut l'honneur de votre visite, alors ? nous demande Mémé Sen.

    Je laisse Thelma répondre :

    - On aurait besoin de trucs chauds ! Des pulls, des pantalons épais... Est-ce que t'as ça dans ta boîte ?

    Elle sourit :

    - C'est pour la neige, n'est-ce pas ?

    Ma sœur acquiesce, les yeux brillants.

    - Attendez-moi ici, je vais regarder dans la réserve. Comme vous le savez, c'est pas vraiment la saison...

    Elle sort de son bureau, nous laissant seules, Thelma et moi. Je soupire longuement.

    J'ai vraiment hâte de repartir d'ici.

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