• lettres de demain, i.

    textes écrits dans le cadre d'un atelier d'écriture ces dernières semaines! et désolée d'avance pour le plot très cisnormatif...... j'avais des contraintes, et un temps d'écriture réduit alors que j'aurais aimé développer plus et complexifier ce monde rip

     

    Ma chère Erika,

    Cela fait à présent quarante ans que tu nous a quittées, mais ta dernière lettre restée sans réponse, et chacun des évènements de ces dernières années m’ont sans cesse rappelé ce que tu observais déjà à l’époque, et qui se concrétise aujourd’hui ; et, ce matin, en retrouvant un brouillon inachevé qui t’était destiné, le besoin soudain de t’écrire m’a frappée, de nouveau. Je me remémore tes attentes, tes craintes, tes ambitions, l’obstination avec laquelle tu tentais de te faire entendre, sans succès ; la fertilité des hommes, déjà en chute libre quand tu étais encore parmi nous, a été carrément réduite à zéro, avec toute la pollution qu’aucun pouvoir public n’a cherché à réguler, les horreurs cancérigènes et autres perturbateurs endocriniens dans tant de matériaux utilisés au quotidien — mais surtout, cette molécule, qui n’affectait pas la majorité des femmes et a siphonné toute la capacité reproductrice de nos confrères.

        Je me souviens aussi du sérieux avec lequel, avant ton départ pour le bureau de recherche sur l’IA, tu as aidé le laboratoire de chimie et de biologie auquel tu étais rattachée à modéliser le risque de perturbations hormonales causées par cette molécule en fonction du sexe, de l’âge, et de l’environnement, et as fait ensuite le tour des plateaux télé, averti sans cesse du fait qu’un groupe en particulier était à risque. Pour une raison immensément stupide et absurde, quasiment personne n’a voulu te croire ; c’était sans doute trop émasculateur pour être vrai aux yeux de tes collègues masculins, pour qui l’engagement féministe que tu avais à côté de ton travail te rendait immédiatement suspicieuse, te décrédibilisait.


        Personne ne t’a cru, donc, et après ta disparition, en quelques années, la fertilité masculine s’est effondrée, telle un douloureux rappel karmique. Les questions les plus fréquemment posées à ta dernière création, notre chère IA Kassandra, furent des demandes de renseignement sur les traitements hormonaux à suivre pour retrouver sa fertilité, l’insémination artificielle, les banques de gamètes, etc. Quant à loi, j’étais toujours en train de transformer la ferme de Papa et Maman, seule avec mes animaux, mi-angoissée par le bouleversement en train de s’opérer, mi-heureuse d’être enfin là où je le voulais dans ma vie. Le temps a passé – et puis, les hommes sont morts.


        Et dans le même temps… tes ex-collègues (femmes, plus les quelques messieurs répondant encore à l’appel) ont découvert la clef de la parthénogenèse humaine. Tout a changé.


        Car, oui, nous ne sommes à présent quasiment plus que des femmes. Subsistent quelques hommes de l’ancienne génération, qui ont survécu à l’épidémie, mais pas suffisamment pour que nous survivions. Alors, nous nous sommes adaptées, en se reproduisant autrement.


        Crois-moi, j’aime vivre dans ce monde de femmes. Cela fait voir les choses si différemment ! Mais parfois, le monde d’avant – celui d’avant que tout empire, celui dans lequel tu étais encore avec moi – me manque cruellement, même si je sais pertinemment qu’il n’était absolument pas meilleur. J’ai un deuil à faire. Je suis en colère, en colère que le changement climatique n’ait pas pu être prévenu ni diminué, qu’on ne t’ait pas écouté, et je pleure toute les vies qui ont été fauchées. J’ai une constante tristesse mêlée de rage en moi, pour être honnête, qui ne part pas, et s’est mêlée d’une pointe d’épuisement que je ne ressentais pas autrefois. Mais je suis aussi, sur bien des points, étrangement apaisée. Je suis toujours vivante, et je vis mieux, en adéquation avec mes valeurs ; la société qui m’entoure est en voie de guérison, elle aussi. Espérons que ce sera suffisant pour que le monde ne sombre pas…
    Tout n’est pas facile ni parfait, bien sûr, et il y a plein, plein, plein de choses horribles qui ont eu lieu ces dernières décennies : nous avons d’abord eu l’extrême-droite au pouvoir pendant huit ans, qui a tenté de mettre en place une violente politique nataliste, affirmant que c’était la faute des femmes et que les hommes n’étaient pas infertiles ; un nombre sans cesse croissant de femmes ont été déplacées de leurs régions natales devenues presque invivables et maltraitées là où elles se sont réfugiées, trop de gouvernements n’ont pas agi malgré la découverte d’une alternative pour se reproduire… Mais nous sommes toujours là, et nous nous sommes enfin réveillées face à l’urgence, ce que je croyais impossible autrefois. L’époque de l’inaction est peu à peu derrière nous ; nous tentons de prendre soin des unes et des autres et de la terre, et la vie est pour nous plus précieuse que tout autre chose.

        Tu me manques. Je t’embrasse fort.
        Ilhan.



    (morceaux de ma toute première idée de texte, certains ont été coupés pour aller dans celui d’au-dessus)

     
    Je crois qu’il faut que je te dise où j’en suis aujourd’hui — je te le dois bien, tu tenais tant à ce que je te donne de mes nouvelles toutes les semaines, et j’ai oublié de t’en donner avant ton départ… Mon argent de poche cruellement limité ne me permettait pas de m’acheter autant de papeterie et de timbres que je le souhaitais, et si aujourd’hui, la quantité de papier que nous produisons est fort limitée, les timbres sont moins chers. Avec la suppression des vols locaux, la suspension de certaines lignes de train à grande vitesse bien trop chères et énergivores, et les pénuries de carburant, tout est devenu plus… lent. Et c’est un peu à cause de ça, je pense, que les gens s’écrivent à présent beaucoup plus de cartes postales et de lettres ; ils se les procurent d’occasion, recyclent leur papier, et l’affranchissement coûte trois fois rien. Un peu comme quand tu étais jeune !

    Ces derniers temps, j’aime marcher le long de la voie de chemin de fer tôt le matin, à l’heure où il n’y a que des des trains de fret, et regarder ensuite le premier train de voyageurs de la journée s’arrêter chez nous – parce qu’ils ont rouvert la ligne, ce que je trouve formidable. Papa et moi étions très émus, le jour où la gare a été remise en service. Bien que le bâtiment existait déjà, ils ont fait toute une cérémonie, où ils ont coupé un ruban… Un chemin piétonnier, bordé d’arbres, ainsi qu’une piste cyclable parallèle à ce dernier, ont été également aménagés pour accéder à la gare, qui est, tu t’en souviens sûrement, située dans la vallée. Et donc à l’écart du reste du village, construit en majorité sur les hauteurs de la colline et le plateau.
    D’ailleurs, ce que je trouve particulièrement impressionnant, c’est à quel point le paysage a changé, depuis que tu nous a quittés… Je suis certaine que tu aurais aimé voir tout cela. Sur le plateau, les champs de monoculture à perte de vue, qui n’avaient toujours pas été abandonnés à la fin des années 2020, et ce malgré les effets de changement climatique qui se faisaient de plus en plus mortifères, effets auxquels ils n’étaient pas adaptés, ont finalement laissé la place à de plus petits champs bordés par des haies, des arbres, des bosquets, cultivés en permaculture. Et tu sais quoi ? Malgré les sécheresses à répétition – et autres joyeusetés –, les agricultures parviennent à peu près à faire de bonnes récoltes, et la vie semble renaître dans les hautes herbes (La présence des coquelicots au bord de la route me rend particulièrement heureuse !). Les essences d’arbres ne sont plus les mêmes, et le visage de notre pays a profondément changé. Mais il reste d’une infinie beauté.
    Tout n’est pas facile ni parfait, bien sûr, et il y a plein, plein, plein de choses horribles qui ont eu lieu ces dernières années ; nous avons eu l’extrême-droite au pouvoir pendant dix ans, un nombre sans cesse croissant de personnes ont été déplacées de leurs régions natales devenues presque invivables et maltraitées là où elles se sont réfugiées, trop de gouvernements n’agissent toujours pas suffisamment… Mais nous sommes toujours là, et la nos élus se réveillent face à l’urgence, ce que je croyais impossible autrefois. L’époque de l’inaction est peu à peu derrière nous ; nous prenons soin des uns et des autres et de la terre, et la vie est pour nous plus précieuse que tout autre chose.


    Tu me manques. Je t’embrasse fort.

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